La protection du logement familial à géométrie variable.

Published on : 30/07/2019 30 July Jul 07 2019

La première chambre civile de la Cour de Cassation a rendu deux arrêts en date des 3 avril 2019 et 22 mai 2019, portant tous les deux sur l'application de l'article 215 alinéa 3 du Code Civil, qui prévoit qu'un époux ne peux disposer, sans le consentement de l'autre, du bien constituant le logement familial. Ces deux arrêts peuvent être mis en perspective pour voir le sens de l'évolution souhaitée par la Cour de Cassation concernant ce droit particulier, propre au droit de la famille et aux couples mariés. Le premier arrêt en date du 3 avril 2019 est un revirement important de jurisprudence. En effet, jusqu'alors, la Cour de Cassation distinguait l'hypothèse selon laquelle la vente du logement familial était une vente volontaire ou bien une vente forcée. Dans l'hypothèse de la vente forcée, la Cour de Cassation considérait que l'article 215 alinéa 3, portant protection du logement familial, ne s'appliquait pas. L'hypothèse classique était celle d'un couple où l'un des deux époux était placé en liquidation judiciaire et où il possédait le logement familial en indivision. Le mandataire liquidateur assignait alors classiquement en cessation et partage de l'indivision sur le fondement de l'article 815 ou 815-17 du Code Civil. Le conjoint, non placé en liquidation judiciaire, tentait alors de s'opposer à la vente du domicile conjugal demandé par le liquidateur, en invoquant la protection du logement familial. Les juridictions du fond et la Cour de Cassation répondaient alors jusqu'à présent, que l'article 215 alinéa 3 du Code Civil n'était pas applicable lorsqu'une vente forcée est poursuivie par le liquidateur judiciaire d'un des époux, peu important que l'action ait été engagée sur le fondement de l'article 815 du Code Civil ou de l'article 815-17 du même code. Par l'arrêt rendu par la Cour de Cassation le 3 avril 2019, un revirement important de jurisprudence a été opéré. En effet, la Cour d'Appel avait appliqué strictement la jurisprudence antérieure et avait fait droit à la demande du liquidateur. La Cour de Cassation a constaté que le liquidateur agissait aux lieu et place de l'époux débiteur dessaisi et que la Cour d'Appel avait relevé que l'immeuble en indivision dont il était demandé le partage et la licitation en un seul lot, constituait le logement de la famille. La Cour de Cassation indique que dans ces conditions, la Cour d'Appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé les dispositions de l'article 215 alinéa 3 du Code Civil. Par conséquent, dorénavant, pour tous les biens indivis, dont un des copropriétaires indivis est placé en liquidation judiciaire et pas l'autre, une demande de partage et de licitation de ce bien par le liquidateur d'un des deux époux, ne sera plus considérée comme bien fondée. Cette disposition va bien sûr à l'encontre des droits des créanciers de l'époux indivisaire, le fait qu'ils aient pris une garantie sur le bien ne changera rien à leur situation, puisqu'au moment où ils voudront le vendre et dans la mesure où leur débiteur sera toujours marié et vivant dans le logement qui constitue le domicile familial, les tribunaux n'autoriseront plus le partage et la licitation de ce domicile familial indivis au motif que l'époux non liquidé a droit à la protection de son toit familial. Les conjoints non liquidés accueilleront bien sûr cette décision avec beaucoup plus de satisfaction que les créanciers. * * * Si, par l'arrêt du 3 avril 2019, la Cour de Cassation a renforcé la protection accordée au toit familial, elle a, dans un arrêt du 22 mai 2019, par contre, resserré les conditions dans lesquelles cette protection du toit familial peut être accordée en limitant celle-ci strictement à une protection limitée pendant le temps du mariage uniquement. La situation était celle d'un couple remarié, dont le mari avait des enfants d'un premier lit, et qui s'était marié sous le régime de la communauté. Ce dernier avait donné, au cours du mariage, à ses deux enfants issus d'un premier lit, la nue-propriété du bien immobilier lui appartenant en propre, constituant le logement de la famille, avec réserve d'usufruit à son profit uniquement. Autrement dit, pendant le temps du mariage, le couple vivait dans le bien propre du mari, dont il avait donné la nue-propriété à ses seuls enfants, en s'en réservant l'usufruit. Mais la mésentente s'est installée dans le couple, une procédure de divorce a été engagée, laquelle n'a pas été jusqu'à son terme, puisque le mari est décédé en cours de procédure. Son épouse est donc devenue sa veuve, non divorcée, mais la réserve d'usufruit qui était réservée au seul mari s'est éteinte avec le décès de ce dernier, et ses enfants du premier lit se sont trouvés pleinement propriétaires du bien qui constituait l'ancien domicile conjugal. Ils ont demandé à le récupérer et l'épouse, devenue veuve, a assigné les donataires sur le fondement de l'article 215 alinéa 3 du Code Civil en annulation de la donation, puisque son consentement n'avait pas été requis. La Cour d'Appel a fait droit à la demande de la veuve, mais la Cour de Cassation a jugé qu'en retenant, après avoir relevé que le décès de l'époux a mis fin à l'usufruit, que l'acte de donation constituait un acte de disposition des droits par lesquels est assuré le logement de la famille au sens de l'article 215 alinéa 3 du Code Civil, et déduisant que l'absence de mention du consentement de l'épouse dans l'acte authentique justifiait son annulation, alors que la donation n'a pas porté atteinte à l'usage et à la jouissance du logement familial par l'épouse pendant le mariage, la Cour d'Appel a violé l'article 215 alinéa 3 du Code Civil. Autrement dit, la Cour de Cassation considère que, quand bien même l'acte de donation, fait pendant le mariage, sans le consentement de l'épouse, comportait en lui-même le germe de la violation du droit à la protection du logement familial, le simple fait que l'épouse perde le toit familial après le décès de son mari, c'est-à-dire à une époque où le mariage n'existait plus, ne lui permettait pas de bénéficier de la protection du toit familial assuré par l'article 215 alinéa 3 du Code Civil. (Source: Cassation civile 1ère, 22 mai 2019 n° 18-16.666, JurisData n° 2019-008400). Il résulte de ces deux arrêts que si la 1ère Chambre civile de la Cour de Cassation renforce la protection du toit familial au conjoint, pendant le mariage, notamment vis-à-vis des créanciers d'un époux, elle ne le fait qu'au prix d'une stricte limitation de la protection de ce toit familial, pendant la période du mariage lui-même.

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