Lorsque la juridiction compétente en matière de responsabilité parentale change en cours de procédure…

Published on : 19/11/2020 19 November Nov 11 2020

Nous en sommes en matière de responsabilité parentale, où le principe établi par l'article 8 du Règlement 2201/2003 du 27 novembre 2003 dit Bruxelles II bis, relatif à la compétence, à la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale, dispose dans son point 1: "Les juridictions d'un Etat membre sont compétentes en matière de responsabilité parentale à l'égard d'un enfant qui réside habituellement dans cet Etat membre au moment où la juridiction est saisie." Cette règle pose le principe dit de la perpetuatio fori, qui veut que le juge saisi initialement est celui de la résidence habituelle de l'enfant et qu'il reste saisi, quand bien même la résidence habituelle de l'enfant changerait en cours de procédure, même si ce changement de résidence est licite. Cependant, un autre texte s'applique également en matière de responsabilité parentale, il s'agit de la Convention de La Haye du 19 octobre 1996,  concernant la compétence, la loi applicable, la reconnaissance, l'exécution et la coopération en matière de responsabilité parentale et des mesures de protection des enfants. Cette convention dispose dans son article 5 : " 1. Les autorités, tant judiciaires qu'administratives, de l'Etat contractant de la résidence habituelle de l'enfant sont compétentes pour prendre des mesures tendant à la protection de sa personne ou de ses biens. 2. Sous réserve de l'article 7, en cas de changement de la résidence habituelle de l'enfant dans un autre Etat contractant, sont compétentes les autorités de l'Etat de la nouvelle résidence habituelle." Ce texte pose en principe que, sauf le cas de déplacement illicite, le déplacement d'un enfant, dans un Etat contractant de la Convention de La Haye du 19 octobre 1996, dans un autre Etat membre, entraîne, au moment du changement de résidence habituelle licite, changement de tribunal compétent pour statuer sur les questions relatives à la responsabilité parentale et aux mesures de protection des enfants. *   *   * On distingue immédiatement un régime différent, selon l'instrument juridique, perpetuatio fori, pour le Règlement 2201/2003 du 27 novembre 2003 dit Bruxelles II bis et changement de for compétent dans la Convention de La Haye du 19 octobre 1996. Evidemment, l'articulation de ces deux textes pose difficulté. A ce titre, le Règlement 2201/2003 du 27 novembre 2003, pose, dans son article 61, la règle régissant les relations entre ledit règlement et la Convention de La Haye du 19 octobre 1996. L'article 61 du Règlement Bruxelles II bis dispose en effet : " Dans les relations avec la convention de La Haye du 19 octobre 1996 concernant la compétence, la loi applicable, la reconnaissance, l'exécution et la coopération en matière de responsabilité parentale et de mesures de protection des enfants, le présent règlement s'applique a) lorsque l'enfant concerné a sa résidence habituelle sur le territoire d'un État membre; b) en ce qui concerne la reconnaissance et l'exécution d'une décision rendue par la juridiction compétente d'un État membre sur le territoire d'un autre État membre, même si l'enfant concerné a sa résidence habituelle sur le territoire d'un État non membre qui est partie contractante à ladite convention." On perçoit que l'article 61 du Règlement Bruxelles II bis ne distingue pas le moment auquel il faut se placer pour considérer que le Règlement prévaut sur la Convention de La Haye, lorsque l'enfant concerné a sa résidence habituelle sur le territoire d'un Etat membre. C'est-à-dire faut-il se placer au moment de la saisine de la juridiction ou à un autre moment ? Ceci dans la mesure où le Règlement ne prévoit pas de facteur temporel, qui rend donc impossible la résolution d’un conflit mobile de compétence en cours d'instance. *   *   * La Cour de Cassation a considéré qu'il ne ressortait pas de la rédaction de l'article 61 du Règlement Bruxelles II bis que les relations entre le Règlement Bruxelles II bis et la Convention de La Haye de 1996, s'apprécient au moment où la juridiction d'un Etat membre est saisie. Elle affirme ainsi que : "Les dispositions du Règlement, et, en particulier, l'article 8.1 qui désignent, en matière de responsabilité parentale, les juridictions de l'Etat membre dans lequel l'enfant a sa résidence habituelle à la date où la juridiction est saisie, priment sur celles de la Convention de La Haye dans les seules relations entre les Etats membres." La Cour de Cassation a rendu cette décision, qui semble conforme à la lettre des textes, dans une affaire dans laquelle la résidence habituelle d'enfants était fixée en France, et a été déplacée en cours de procédure, de manière licite, en Suisse, Etat non membre de l'Union Européenne mais Etat membre de la Convention de La Haye du 19 octobre 1996.  La Cour d'Appel qui était saisie de la question de la compétence nouvelle des juridictions helvétiques avait considéré que dans la mesure où la résidence habituelle des enfants était fixée en France au moment de la saisine de la juridiction, les juridictions françaises étaient compétentes. La Cour de Cassation a cassé cet arrêt, considérant que la Cour d'Appel a violé les dispositions de l'article 61 du Règlement 2201/2003 du 27 novembre 2003 dit Bruxelles II bis. *   *   * Les impacts de cette décision sont très importants et les parties concernées par une question de responsabilité parentale transfrontière et leurs conseils, devront être extrêmement vigilants aux conséquences qui seront dorénavant clairement déduites d'un transfert licite de la résidence habituelle d'enfants du territoire d'un Etat membre dans lequel les juridictions étaient compétentes pour statuer sur l'autorité parentale comme étant celle de la résidence habituelle des enfants au moment de la saisine, vers celle d'un Etat non membre de l'Union Européenne mais partie à la Convention de La Haye du 19 octobre 1996. Dans cette hypothèse, le changement de résidence licite, c'est-à-dire accepté par les deux parents, aura pour conséquence de faire perdre aux juridictions de l'Etat membre, par hypothèse la France, leur compétence en matière de responsabilité parentale au profit des juridictions de la nouvelle résidence habituelle des enfants, dans un Etat non membre de l'Union européenne mais partie à la Convention de La Haye du 19 octobre 1996, parmi lesquels ont peut citer notamment la Suisse, concernée par l'arrêt ici commenté, mais également la Turquie et d'une manière absolument pas anodine, le Royaume-Uni... Les parties et leur conseil devront donc être particulièrement vigilants sur ce point. *   *   * Cassation civile 1ère, 30 septembre 2020, n° 19-14.761, Jurisdata n° 2020-015528

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