Le droit de prélèvement sur les biens français : une préférence contestable !

Published on : 13/10/2021 13 October Oct 10 2021

La Loi n° 2019-1109 du 24 août 2021, intitulée "confortant le respect des principes de la République", a réintroduit en droit français le droit de prélèvement compensatoire. Il s'agit, dans les grandes lignes, de permettre, quand le de cujus ou un héritier est résident ou ressortissant d'un Etat  membre de l’Union Européenne, que les biens qui sont situés sur le territoire national, qu'ils soient meubles ou immeubles, fassent l'objet d'un droit de prélèvement compensatoire, qui permettra aux héritiers réservataires de toucher la part de l'héritage sur le bien français et ce quand bien même la loi applicable à la succession ignorerait la réserve héréditaire, et donc les excluraient du partage. S'agit-il d'un retour de bâton après la jurisprudence ô combien commentée de la Cour de Cassation, 1ère chambre civile, 27 septembre 2017, arrêt JARRE et COLOMBIER, qui a indiqué que la réserve héréditaire n'était pas en soi contraire à l'ordre public international français permettant ainsi, dans le principe, à des Français qui sont partis s'installer à l'étranger et qui y ont acquis leur résidence habituelle sans fraude, ou même plus récemment des français qui feraient le choix de leur lieu de résidence habituelle à l’étranger, comme étant celui de la loi ayant vocation à régir leur succession dans le cadre du règlement européen sur les successions, de faire échec à la réserve héréditaire. S'agit-il de faire revivre une loi du 14 juillet 1819 qui avait instauré un tel droit en le réservant aux seuls héritiers français. Problème, cette "préférence nationale" avait été déclarée contraire à la Constitution et au principe d'égalité par un arrêt du Conseil constitutionnel du 5 août 2011. Il n'est pas douteux que le droit de prélèvement compensatoire tel qu'il a été imaginé par une loi qui s'intitule étonnamment pour ce cas "confortant le respect des principes de la République", créé pour autant un certain nombre de discriminations entre les héritiers, même si le législateur a pris le soin d'élargir cette fois-ci l'assiette des bénéficiaires non seulement aux nationaux français, mais également   aux nationaux européens, mais également aux résidents européens. On peut penser notamment aux suivantes :
  • Cette loi créé indiscutablement une rupture d'égalité entre les héritiers.
En effet, selon la nationalité ou la résidence du défunt ou l'un de ses héritiers, la succession sera gérée différemment.
  • Ce droit de prélèvement compensatoire semble être également en violation directe et caractérisée avec le Règlement européen sur les successions n° 650/2012 applicable depuis le 17 aout 2015.
Ledit règlement interdit toute discrimination fondée sur la nationalité par renvoi aux principes consacrés par la Charte des droits fondamentaux de l'Union Européenne.
  • Il viole également le principe de proximité prévu par le Règlement européen qui veut que la succession soit régie par une loi avec laquelle la succession présente des liens étroits.
En l'espèce, la loi française s'appliquerait uniquement en raison de la présence d'un actif sur le territoire national. On peut difficilement considérer qu'il existe un lien plus ténu que celui-là.
  • Il viole aussi le principe de l'unité de la loi successorale voulue par le Règlement européen successions et considéré comme un progrès.
  • Il viole enfin le principe de prévisibilité, puisque même si le de cujus a fait application des dispositions des règlements lui permettant d'opter soit pour sa loi nationale soit pour sa loi de résidence, l'application du droit de prélèvement obligatoire viendra fausser l'ensemble de ses prévisions dans le cadre de son projet successoral.
Il est donc extrêmement probable à nos yeux, que ce rétablissement du droit de prélèvement compensatoire, qui a encore récemment fait l'objet d'articles au demeurant très intéressants et de vulgarisation dans la presse généraliste (cf. Le Figaro du samedi 3 décembre 2021) fasse encore parler de lui, mais cette fois-ci, sous l'angle de l'inconstitutionnalité et plus probablement de l'incompatibilité avec les règles du droit de l'Union Européenne.  *   *   *   Source : Loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 instituant un droit de prélèvement obligatoire sur les biens situés en France.  

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