La requalification, c’est comme les antibiotiques, c’est plus automatique.
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23/04/2018
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104 CDD, sur une période de trois années, pour un même employeur, requalification en CDI ou non ? La règle est, selon l’article L 1242-1 du Code du travail, que le CDD, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise. En fin connaisseur de la jurisprudence de la Cour de cassation sur le sujet, la première pensée pourrait être : « Ah le pauvre, la requalification va faire mal ». La seconde : « Oui, enfin, c’est logique. 104 CDD tout de même, ça fait un temps plein, l’employeur a abusé. Je ne vois pas comment il pourrait justifier d’un besoin non permanent... » Le schéma est, en effet, établi depuis plusieurs années : un salarié, plusieurs CDD, plusieurs années = requalification automatique en CDI. Le Conseil de Prud'hommes saisit de cette question requalifie sans surprise les 104 CDD en CDI et condamne l’employeur à verser à la salariée diverses sommes. L’employeur fait appel et la Cour d'Appel confirme le jugement rendu par le Conseil de Prud'hommes, et donc la requalification, là encore sans suspens véritable. La Cour d'Appel a analysé les motifs, réguliers, des CDD, pour remplacement de salariés en congés, maladie, maternité ; ces remplacements étant prévisibles et systématiques, à tel point que la salariée effectuait un équivalent temps plein, afin de faire face à un besoin structurel de l’association employeur, la requalification s’imposait. En effet, comment expliquer sinon l’usage de 104 CDD, s’il ne s’agissait pas de pourvoir durablement un emploi et de répondre à un besoin structurel ? L’employeur, tenace, se pourvoit en cassation. Et là... cataclysme, la Cour de cassation casse l’arrêt rendu par la Cour d'Appel en jugeant que celle-ci n’a pas caractérisé, par des motifs suffisants, en quoi ces contrats avaient pour objet ou pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’association. C’est le glas de la requalification automatique. Dans son arrêt, la Cour de cassation explique que la Cour de Justice de l’Union européenne a, dans un arrêt du 26 janvier 2012, jugé que la clause 5, point 1, de l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée doit être interprétée en ce sens que le besoin temporaire en personnel de remplacement, prévu par une réglementation nationale, peut constituer une raison objective au sens de ladite clause. Le seul fait qu’un employeur soit obligé de recourir à des remplacements temporaires de manière récurrente, voire permanente, et même si ces remplacements pourraient être couverts par l’embauche de salariés en CDI, n’implique pas l’absence d’une raison objective au sens de la clause 5 point 1. Si le renouvellement des contrats est justifié par une telle raison objective, les Etats membres doivent prendre en compte toutes les circonstances de la cause : nombre et durée cumulée des contrats, effectif de l’entreprise etc... En l’espèce, qui était l’employeur ? Il s’agissait d’une association disposant d’un effectif très important et il était ainsi inévitable que des remplacements temporaires soient fréquemment nécessaires (congés, maladie, maternité et autres). Ces remplacements pouvaient-ils caractériser une raison objective ? Oui, répond la Cour de cassation. La Haute Cour ajoute que cette raison est d’autant plus objective que le renouvellement des CDD, en cas de remplacement temporaire, poursuit un objectif légitime de politique sociale : la protection de la grossesse et de la maternité, ou encore la conciliation des obligations professionnelles et familiales. Ainsi, puisque l’employeur est tenu de garantir à ses salariés le bénéfice des droits à congés maladie ou maternité, à congés payés ou repos que leur accorde la loi, recourir à des CDD de remplacement, de manière récurrente, voir permanente, ne saurait suffire à caractériser un recours systématique à des CDD pour faire face à un besoin structurel de main d’œuvre et pourvoir durablement un emploi durable. Source : Cour de cassation, chambre sociale, 14 février 2018, pourvoi n°16-17966