Doit-on favoriser la compétence des juridictions des Etats membres de l’Union Européenne en matière successorale ?
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19/12/2020
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Ou dit autrement (et plus techniquement) La compétence subsidiaire de l'article 10 du Règlement Européen « Succession » doit-elle être relevée d'office par le juge? C'est cette intéressante et importante question que s'est posée la Cour de Cassation dans un arrêt en date du 18 novembre 2020. Une personne de nationalité française possédant des biens en France et en Angleterre, décède en Angleterre. La Cour d'Appel de VERSAILLES, saisie d'un litige successoral, considère que le de cujus avait sa résidence habituelle en Angleterre et que par conséquent, les juridictions françaises ne sont pas compétentes. Or, la Cour d’Appel avait relevé que le de cujus avait la nationalité française et possédait des biens en France. Il s'agit donc de savoir si la Cour d'Appel de VERSAILLES était en réalité tenue de relever d'office sa compétence subsidiaire énoncée à l'article 10 du Règlement n° 650/2012 du 4 juillet 2012, relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l'exécution des décisions, et l'acceptation et l'exécution des actes authentiques en matière de succession et à la création d'un certificat successoral européen. La Cour de Cassation a décidé, en application des dispositions de l'article 267 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne de poser une question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union européenne pour lui demander si les dispositions de l'article 10, alinéa1 point a du Règlement Successions doivent être interprétées en ce sens que lorsque la résidence habituelle du défunt au moment du décès n'est pas située dans un Etat membre, la juridiction d'un Etat membre dans lequel la résidence habituelle du défunt n'était pas fixée mais qui constate que celui-ci avait la nationalité de cet Etat et y possédait des biens, doit, d'office, relever sa compétence subsidiaire prévue par ce texte ? La question est importante, car de sa réponse dépend la concentration du contentieux successoral au sein des juridictions des Etats Membres de l’Union Européenne. La Cour de Cassation, dans un arrêt à la rédaction très pédagogique, a tenu à indiquer qu'il existait un doute raisonnable sur la réponse qui doit être apportée à cette question, car d'un côté, la première Chambre civile de la Cour de Cassation a considéré qu'en faveur de l'obligation pour le juge de rechercher d'office sa compétence subsidiaire sur le fondement de l'article 10 lorsque le défunt n'avait pas sa résidence habituelle dans un Etat membre au moment de son décès, il convenait de relever que le Règlement Succession met en place un système global qui résout tous les conflits internationaux, et il a institué un système de résolution des conflits de juridiction que les juges des Etats membres doivent appliquer d'office dès lors que le litige relève du domaine matériel couvert par le texte. Or, la première Chambre civile de la Cour de Cassation a remarqué que la compétence subsidiaire prévue à l'article 10 du Règlement a pour objet de fixer des critères de compétences applicables dans l'hypothèse où aucune juridiction d'un Etat membre ne serait compétente à l'égard de la règle principale énoncée à l'article 4, c'est-à-dire celle de la résidence habituelle du défunt (ce qui était le cas en l’espèce car le Royaume-Uni n’est pas entré dans le règlement Succession, même avant le Brexit). Il ne serait donc pas logique qu'après avoir relevé d'office la mise en œuvre du Règlement pour trancher un conflit de juridiction, les juges puissent écarter leur compétence au profit d'un Etat tiers sur le fondement du seul article 4 (c’est-à-dire en fonction du critère de résidence habituelle du défunt), sans avoir à vérifier au préalable leur compétence subsidiaire sur celui de l'article 10. Au contraire, il serait plus cohérent que les juridictions saisies soient tenues de vérifier tous les critères de compétence possibles dès lors qu'aucun autre Etat membre n'est compétent, y compris d'office. Il n'y aurait donc pas lieu de distinguer l'obligation faite aux juges de rechercher d'office s'ils sont compétents selon que cette compétence résulte de l'article 4 (résidence habituelle) ou de l'article 10 (compétence subsidiaire de la nationalité du défunt qui possède des biens dans l'Etat de sa nationalité). * * * Cependant, la Cour de Cassation a contrebalancé cette position en rappelant que la philosophie même du Règlement Succession est de poser le principe d'unité des compétences judiciaires et législatives afin d'assurer une bonne administration de la justice au sein de l'Union et de veiller à ce qu'un lien de rattachement réel existe entre la succession et l'Etat membre dans lequel la compétence est exercée comme le rappelle le considérant 23 du Règlement. La première Chambre civile de la Cour de Cassation française rappelle en effet que si une juridiction d'un Etat dans lequel le défunt n'avait pas sa résidence habituelle se reconnaît compétente sur le fondement de l'article 10 (compétence subsidiaire des biens détenus dans l'Etat de nationalité), elle sera néanmoins conduite à appliquer la loi de l'Etat de résidence habituelle, ce qui conduira à juge d'un Etat membre à appliquer la loi successorale d'un autre Etat. La Cour de Cassation indique que cette situation est contraire à la philosophie du Règlement alors même qu'il est possible pour les parties de faire une clause d'élection de for ou même pour toute personne de faire un choix exprès de la loi applicable à sa succession1. Il apparaît dès lors difficile d'admettre qu'une règle de compétence qualifiée comme subsidiaire qui déroge aux principes généraux qui servent de fondement au Règlement, doive être obligatoirement relevée par les juges même si les parties elles-mêmes ne l'invoquent pas. On attend donc avec impatience la décision qui sera rendue par la Cour de justice de l'Union européenne, sur cette intéressante question. * * * Références : Cour de Cassation, 1ère Chambre civile, 18 novembre 2020, N° 19-15.438. 1 On observera cependant que l’article 22 du règlement succession permet un choix de loi applicable, limité à la loi de la nationalité ou celle de la résidence habituelle. Et précisément si le de cujus a utilisé cette possibilité pour désigner sa loi nationale, les juridictions de l’Etat Membre de sa résidence habituelle devront appliquer une loi qui n’est pas la leur… Ce qui rend un peu moins pertinent l’argument utilisé par la Cour de Cassation vers de l’absence d’obligation pour les juges de relever d’office la compétence subsidiaire de l’article 10 du règlement Succession.
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